Que j’en ai fait des choses en ces lieux! Je m’appelle Jeffrey-Alexandre Rousseau et laissez-moi vous raconter mon histoire.
Né en 1852 dans la seigneurie de Sainte-Anne-de-la-Pérade, je descends d’une lignée de marchands et de militaires. Ce n’est donc pas surprenant qu’après quelques années sur les bancs d’école, je me suis engagé dans la milice canadienne pour défendre ma patrie à la Guerre des Fenians. On m’a décoré Capitaine, puis Major pour enfin m’élever au titre d’honorable lieutenant-colonel par Sir Wilfrid Laurier lui-même.
Ce passé militaire est pourtant la pointe de l’iceberg de toutes mes réalisations. Après 8 ans à parcourir la rive nord du fleuve jusqu’à Montréal pour y vendre des polices d’assurance, j’ai découvert la vie confortable des bourgeois anglophones montréalais, et cela m’a donné des idées… je me suis alors fait la promesse de diriger un jour mon propre empire. Pour y arriver, j’ai dû acquérir des connaissances. Tout en travaillant de jour, j’ai décidé de suivre des cours du soir : la maîtrise de la langue anglaise, la comptabilité, surtout en ce qui a trait au système bancaire, des leçons d’élocution, de bienséance, de politesse, etc. ainsi que la tenue à l’anglaise, tant à table que vestimentaire.
Je suis revenu chez moi en 1879 et j’ai débuté l’achat d’entreprises : usine d’allumettes, magasin, scieries, chantiers de coupe, ferme, ganterie, et bien d’autres. En 1895, j’ai acheté la succursale péradienne de la Banque Jacques-Cartier, et j’ai fondé J.A.Rousseau, banquier. C’est en ces lieux que j’ai dirigé mon propre empire, mon royaume. Je suis un bâtisseur de compagnies.
J’ai toujours été perçu comme un homme riche et puissant. J’ai côtoyé les grands de ce monde tels que la Famille Price, Honoré Mercier, Sir Wilfrid Laurier, pour ne nommer que ceux-là. C’est peut-être grâce à cela que j’ai été maire de ma municipalité pendant plus de 15 ans et député fédéral pour le parti libéral pendant sept ans. Un de mes souhaits était de faire sortir ma paroisse de son passé d’ex-censitaire et de la mener dans la modernité.
Après mon décès en 1927, on a semblé m’oublier. Est-ce à cause de la saga de ma succession pour récupérer ma fortune évaluée à plus d’un million? Est-ce à cause de la Grande Dépression qui a plongé ma paroisse dans la grande noirceur deux ans après ma disparition? Peu importe. En 2002, après la parution de ma biographie, le pont traversant la rivière de mon village a été baptisé en mon nom, et j’en suis très honoré. Je vous remercie aujourd’hui de ranimer la mémoire du self-made-man que j’ai été.